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ne sçauroit faire ce voyage avec trop de précautions, car les Curdes sont des animaux peu raisonnables ; ils ne reconnoissent pas même les Turcs, et ils les dépoüillent tout comme les autres lorsqu’ils en trouvent l’occasion. Enfin ces brigands n’obeïssent ni à Beglierbey ni à Pacha, et il faut avoir recours à leurs amis lorsqu’on veut avoir l’honneur de les voir, ou pour mieux dire le pays où ils se trouvent. Quand ils ont consommé les pâturages d’un quartier, ils vont camper dans un autre. Aulieu de s’appliquer à la science des Astres comme les Caldéens, de qui on les fait descendre, ils ne cherchent qu’à piller, et suivent les Caravanes à la piste, pendant que leurs femmes s’occupent à faire du beurre, du fromage, à élever leurs enfans, et à prendre soin de leurs troupeaux.

Nous partîmes le 22 Juin à trois heures du matin du Monastere Rouge. La Caravane ne fut pas nombreuse, il falloit se livrer à l’Evêque, ou renoncer à voir les sources de l’Euphrate ; mais dans le fond, que risquions-nous ? les Curdes ne mangent pas les hommes, ils ne font que les dépoüiller, et nous y avions sagement pourveû en prenant nos plus méchants habits : nous n’avions donc à craindre que le froid et la faim. Par rapport à l’Evêque, c’étoit un homme de bien qui n’auroit pas voulu nous exposer à montrer nos nuditez. Nous le priâmes de serrer dans sa cassette quelques sequins que nous avions pris pour nôtre dépense. Nanti de nôtre bourse, il fit faire les provisions dont nous avions besoin, et paroissoit agir de bonne foy, bien informé d’ailleurs que nous étions sous la protection du Beglierbey, et que nous étions connus dans la ville pour ses Medecins. Nous avions donné des remedes gratuitement à tous les cliens du Monastere qui s’étoient adressez à nous. Aprés ces précautions nous nous abandonnâmes avec confiance à sa conduite. Il se mit à