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l’Armenie fut si maltraitée du froit excessif qui s’y faisoit sentir, qu’on fut obligé de couper les mains et les pieds à plusieurs soldats que l’on trouvoit à demi gelez sur les chemins.

Outre la rigueur des hivers, ce qu’il y a de plus facheux à Erzeron, c’est que le bois y est rare et fort cher. On n’y connoît que le bois de Pin que l’on va chercher à deux outrois journées de la ville, tout le reste du pays est découvert. On n’y voit ni arbres ni buissons, et l’on n’y brûle communément que de la bouze de vache dont on fait des mottes, mais elles ne valent pas celles des tanneurs dont on se sert à Paris, encore moins celles du marc des olives que l’on prépare en Provence. Je ne doute pas que l’on ne trouvât de la hoüille si l’on vouloit se donner la peine de foüiller les terres. C’est un pays où les mineraux ne manquent pas, mais ils sont accoûtumez à leur bouze. On ne sçauroit s’imaginer quel horrible parfum fait cette bouze dans des maisons qu’on ne peut comparer qu’à des renardieres, et sur tout les maisons de la campagne. Tout ce qu’on y mange sent la fumée ; leur crême seroit admirable sans cette cassolette, et l’on feroit fort bonne chere si l’on pouvoit y faire cuire, avec du bois, la viande de boucherie qui y est fort bonne.

Les fruits qu’on y apporte de Georgie sont excellens. C’est un pays plus chaud et moins tardif qui produit en abondance des Poires, des Prunes, des Cerises, des Melons. Les collines voisines fournissent à Erzeron de tres belles sources, lesquelles non seulement arrosent la campagne, mais encore les ruës de la ville. C’est un grand avantage pour les étrangers que les eaux soient bonnes, car on y boit le plus détestable vin du monde. On se consoleroit de toutes les glaces et de tous les frimats et on compteroit la fumée pour rien, si l’on trouvoit du vin