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Le bassin qui est de la même figure, c’est à dire à huit pans, pousse deux boüillons d’eau presque aussi gros que le corps d’un homme ; cette eau est douce et d’une chaleur supportable. Dieu sçait comme les Turcs y courent ; ils viennent d’Erzeron s’y baigner, et la moitié de nôtre Caravane ne laissa pas échapper une si belle occasion.

Le lendemain nous arrivâmes à Erzeron. C’est une assez grande ville à cinq journées de la mer Noire, et à dix de la frontiere de Perse. Erzeron est bâti dans une belle plaine au pied d’une chaîne de montagnes qui empeschent l’Euphrate de se rendre dans la mer Noire, et l’obligent de se tourner du côté du Midi. Les collines qui bordent cette plaine étoient encore couvertes de neige en plusieurs endroits. On nous assûra même qu’il y en étoit tombé le premier jour de Juin, et nous étions fort surpris d’avoir les mains engourdies jusqu’à ne pouvoir écrire sur le point du jour : cet engourdissement duroit encore une heure aprés le soleil levé, quoique les nuits y fussent assez douces et les chaleurs incommodes depuis les dix heures du matin jusques à quatre heures aprés midi. La plaine d’Erzeron est fertile en toutes sortes de grains. Le bled y étoit moins avancé qu’à Paris, et n’avoit pas deux pieds de haut, aussi n’y fait-on la recolte qu’en Septembre. Je ne suis pas surpris de ce que Lucullus trouva étrange que les champs fussent encore tous nuds au milieu de l’Eté, lui qui venoit d’Italie où la moisson est faite dans ce temps-là. Il fut encore bien plus êtonné de voir de la glace dans l’Equinoxe d’automne ; d’apprendre que les eaux par leur froideur faisoient mourir les chevaux de son armée ; qu’il falloit casser la glace pour passer les rivieres, et que ses soldats étoient forcez de camper parmi la neige qui ne cessoit de tomber. Alexandre Severe ne fut pas plus satisfait de ce pays-ci. Zonare remarque que son armée repassant par