Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non-seulement il travaille à s’acquitter ; mais encore à faire des fonds pour soûtenir sa dépense, et sur tout pour entretenir ses protecteurs à la Cour, sans lesquels, au lieu de s’avancer, il seroit immanquablement revoqué de quelque maniere qu’il s’y prît : ainsi le Juif ou le Chifou, comme disent les Turcs, continuë toûjours son manége, et tout l’argent de la maison, pour ne pas dire de toute la Province, passe par ses mains. L’avarice du Sultan Mourat est la source de tous ces desordres : il introduisit l’usage de recevoir des presents des Grands à qui il donnoit les charges de l’Empire : les Grands pour se dédommager en usoient de même à l’égarde de leurs inferieurs, depuis ce temps-là tout fut livré au plus offrant. Sultan Solyman qui aimoit tendrement ses sœurs et ses filles, les maria aux premiers Officiers de la Porte, contre l’usage de ses Prédecesseurs qui les donnoient à des Viceroys des Provinces fort éloignées. Les maris, à l’abri de ces Sultanes, se mirent sur le pied de recevoir de toutes mains pour subvenir aux dépenses qu’elles faisoient. On connoît bien aujourd’hui que ces désordres sont capables de ruiner l’Empire ; mais le mal est presque sans remede : car l’Empereur lui-même, les Sultanes, les Favoris, les Grans de la Porte ne s’enrichissent que par ces sortes de voyes ; et les inferieurs ne se tirent d’intrigue que par leurs concussions : ils n’est donc pas surprenant que ce grand Empire soit presentement dans une espece de décadence.

Des Ichoglans il faut passer aux Azamoglans, puisque ce dernier corps n’est composé que du rebut du premier. On recherche plus les qualitez du corps que de l’esprit dans les Azamoglans, et si l’on manque de sujets, on en achette des petits Tartares, qui sont toûjours en course chez leurs voisins pour enlever des enfans. Ces enfans sont nourris sous la discipline des Eunuques blancs, de même