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grands emplois, ils ne sont encore que de vrais écoliers : il faudroit leur apprendre à commander, après leur avoir appris à obéïr, et quoique les Turcs s’imaginent que Dieu donne la prudence et les autres talents necessaires à ceux à qui le Sultan donne de grands emplois ; l’expérience fait voir souvent le contraire. Quelle capacité peuvent avoir des pages nourris parmi des Eunuques qui les ont traitez à coups de bâton pendant si long-temps ? Ne seroit-il pas mieux d’avancer de jeunes gens par dégrez, dans un Empire où l’on n’a aucun égard à la naissance ? d’ailleurs ces Officiers passent tout d’un coup de l’état le plus gênant à une liberté si grande, qu’il n’est guéres possible qu’ils ne se livrent aux passions : cependant on leur donne les meilleurs Gouvernemens des Provinces. Comme ils n’ont ni capacité ni expérience pour remplir les devoirs de leurs charges, ils s’en reposent sur leurs Lieutenants, qui sont ordinairement ou de grans voleurs, ou des espions que le Grand Visir leur donne pour lui rendre compte de leur conduite. Ces nouveaux Gouverneurs passent encore malgré qu’ils en ayent par les mains des Juifs ; comme ils n’ont aucuns biens lorsqu’ils sortent du Serrail, ils ont recours à ces usuriers qui ne leur inspirent que rapines et concussions. Outre les présens, qu’un nouveau Pacha est obligé de faire au Grand Seigneur, aux Sultanes, et aux Premiers de la Porte, il faut qu’il mette sa maison sur pied. Il n’y a que les Juifs qui en puissent faire les avances, et ces honnêtes fripons ne prêtent qu’à cent pour cent. Le mal ne seroit pas si grand, s’ils s’en faisoient payer peu à peu ; mais comme ils craignent à tout moment que le Pacha ne soit étranglé ou destitué : ils ne laissent pas vieillir la dette, et c’est sur le peuple qu’ils l’obligent à en faire le recouvrement.

Les Provinces ne gagnent guéres si on y laisse un Pacha pendant quelques années : alors s’il est homme entendu,