Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choisissoit parmi eux les plus beaux, les mieux faits, et ceux qui paroissoient avoir le plus d’esprit et les meilleurs sentimens. Leurs noms, leur âge, leur pays étoient enregistrez ; ces pauvres enfans qui oublioient bien-tôt pere, mere, freres et sœurs, et même leur patrie, s’attachoient uniquement à la personne du Sultan. Aujourd’hui on ne leve plus d’enfans de tribut ; ce n’est pas pour faire plaisir aux Grecs : c’est parceque les Turcs donnent de l’argent aux Officiers du Serrail pour y faire recevoir les leurs, dans la veuë de les avancer dans les plus grandes charges de l’Empire. Pour peu que ces enfans ayent de génie, ils ne pensent qu’à plaire à ceux qui prennent soin de leur éducation afin de mériter les bienfaits de la Cour. L’Empereur les choisit souvent lui même à mesure qu’on les presente, ou il ordonne qu’ils passent en reveuë devant les principaux Eunuques blancs, qui sont bons phisionomistes : on retient la pluspart de ces enfans à Constantinople. On m’assûra même qu'on en faisoit passer quelques-uns à Andrinople, et à Prusa en Asie. Ceux qui sont les mieux faits restent parmi les Ichoglans, et les autres sont confondus parmi les Azamoglans.

On commence par exiger d’eux une profession de foi, et on les fait circoncire. Ils perdent le prépuce en prononçant, Il n’y a point d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est l’Envoyé de Dieu. Ces enfans sont élevez dans une modestie exemplaire : ils ne sont pas moins souples, ni moins obéissants que les novices chez nos Religieux ; ils sont châtiez sévérement pour les moindres fautes par les Eunuques qui veillent sur leur conduite : ils gémissent pendant quatorze ans sous les yeux de ces Précepteurs. Au lieu de la discipline, on leur donne la bastonade sous la plante des pieds, et il est certains péchez pour l’expiation desquels ils meurent sous le bâton. Les Eunuques sont gens cruels,