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l’Egire mille cent douze. Ordonné dans la plaine de Daout Pacha.

Nous prîmes congé de Mr l’Ambassadeur le 13 Avril, et couchâmes le même jour à Ortacui sur le canal de la mer Noire dans le Serrail de Mahemet-Bey, Page du Grand Seigneur. Mahemet en avoit laissé l’usage à Mr Chabert Apoticaire de Provence établi depuis long-temps à Constantinople, où il étoit fort employé dans sa profession : ce pauvre homme quelque temps aprés nôtre départ eut le sort de la pluspart des gens qui vont chercher fortune dans cette puissante Ville, c’est à dire qu’il y mourut de la peste dont il fut frappé et emporté dans le temps qu’il s’y attendoit le moins. Son fils qui étoit Apoticaire du Pacha, et qui nous fut d’un grand secours pendant la route, à cause de l’intelligence qu’il a des langues du pays, vint avec nous attendre ce Seigneur dans la maison du Bey, laquelle passe pour une des plus belles du canal.

Le lendemain nous en reconnûmes les environs ; ce sont de petites collines fort agréables par leur verdure, mais elles ne produisent que des plantes communes. A l’égard du Serrail, il n’a pas beaucoup d’apparence, non plus que les autres maisons du Levant, quoique les appartemens en soient beaux, et qu’on y ait fait beaucoup de dépense. Tous les plafonds sont peints, historiez et dorez dans le goût de Turquie, c’est à dire avec des ornemens si petits et si mesquins, quoique riches, qu’ils seroient plus propres pour des ouvrages de broderie que pour des sales. Ces sales sont boisées assez proprement, et l’on y voit par tout, au lieu de tableaux, des sentences Arabes tirées de l’Alcoran. Mais quelque soin qu’on ait apporté pour la décoration de ces lieux, les planchers en sont trop bas, et c’est là le défaut ordinaire des bâtimens du