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a beau dire que les vagues de la mer Noire sont courtes, et par conséquent violentes, il est certain qu’elles sont plus étendües et moins coupées que celles de la mer Blanche, laquelle est partagée par une infinité de canaux qui sont entre les Isles. Ce qu’il y a de plus fâcheux pour ceux qui naviguent sur la mer Noire, c’est qu’elle a peu de bons Ports, et que la pluspart de ses Rades sont découvertes ; mais ces Ports seroient inutiles à des Pilotes, qui dans une tempête n’auroient pas l’adresse de s’y retirer. Pour assûrer la navigation de cette mer, toute autre nation que les Turcs formeroit de bons Pilotes, répareroit les Ports, y bâtiroit des Moles, y établiroit des magazins ; mais leur génie n’est pas tourné de ce côté-là. Les Genois n’avoient pas manqué de prendre toutes ces précautions lors de la décadence de l’Empire des Grecs, et sur tout dans le xiii. siécle, où ils faisoient tout le commerce de la mer Noire, aprés en avoir occupé les meilleures Places. On y reconnoit encore le débris de leurs ouvrages, et sur tout de ceux qui regardent la marine. Mahomet II les en chassa entierement ; et depuis ce temps-là les Turcs, qui ont tout laissé ruiner par leur négligence, n’ont jamais voulu permettre aux Francs d’y naviguer, quelques avantages qu’on leur ait proposez pour en obtenir la permission.

Tout ce qu’on a dit de cette mer depuis le temps d’Homere jusqu’à present, et tout ce que les Turcs en pensent, eux qui n’ont fait que traduire le nom de la mer Noire en leur langue ; tout cela, dis-je, ne nous fit pas balancer un moment à entreprendre ce voyage : mais il faut avoüer que ce ne fut qu’à condition que nous le ferions sur un Caïque, et non pas sur une Saïque. Les Caïques qui vont sur cette mer, sont des felouques à quatre rames qui se retirent tous les soirs à terre, et qui ne se