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que les autres, qui allérent jusques dans la Colchide achetter des moutons pour en peupler la Grece ! tout cela me paroît fort obscur. Mais j’admire l’invention du bon homme Phinée qui, n’ayant point de boussole non plus que les Argonautes, leur conseilla avant que de risquer le passage des Isles Cyanées, de laisser voler une colombe ; si elle passe saine & sauve au-dessus de ces rochers, leur dit-il, faites force de rames & de voiles, & comptez plus sur vos bras que sur les vœux que vous pourriez faire aux Dieux : mais si la colombe revient, faites volte-face, & revenez sur vos pas. Je ne vois rien de mieux imaginé que cet expedient.

Revenons à la Cour de Phinée, ou plutost à Mauromolo. C’est un beau Monastere de Caloyers, qui ne payent pour tout tribut qu’une charge de Cerises. On dit qu’un Sultan s’étant égaré à la chasse autour de cette maison, & ne croyant pas être connu des Religieux, leur demanda la colation. Les Moines qui sçavoient bien qui il étoit, lui présenterent du pain & un plat de Cerises ; elles furent trouvées si bonnes, que le Sultan déchargea les Religieux de la capitation, & leur ordonna seulement de porter tous les ans une charge de Cerises au Serrail.

Il n’y a point aujourd’hui d’endroit considérable entre Mauromolo & le nouveau Château d’Europe, quoique les anciens n’ayent pas manqué sans doute de donner des noms fameux à toute cette côte, quelque escarpée qu’elle soit : mais on ne sçauroit faire un pas dans le pays où les Grecs ont habité, qu’on n’y découvre encore quelques noms de leur façon.

Il n’est plaine en ces lieux si seche & si sterile
Qui ne soit en beaux mots par tout riche & fertile.

Quoi de plus consolant, parmi ceux qu’on appelle gens d’érudition, que de savoir que le premier recoin qui est