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cet étain s’attache si bien au cuivre, que leur vaisselle ne rougit pas aussi facilement que la nôtre.

Quand l’heure du repas est venuë, on étend à terre ou sur le sopha, une nape ronde de marroquin noir, plus ou moins grande suivant le monde qui doit manger. Ceux qui aiment la propreté mettent cette nape sur une table de bois, haute seulement de demi pied, sur laquelle on sert un grand bassin de bois qui est chargé de plats de ris et de viande. Le maître de la maison fait la priere ordinaire, Au nom de Dieu tout puissant et misericordieux, etc. On fait passer tout autour de la table une serviette de toile bleüe qui sert à tous ceux qui sont du repas ; une cueillier de bois à long manche sert pour tout le monde, et l’on donne sur le ris de fort bon appetit. On mange de la viande et des fruits, et l’eau fraische n’est pas épargnée sur la fin du repas. Nous nous levions quelquefois de table avec le ventre à la glace : en récompense on nous donnoit le caffé tout boüillant, et nous fumions comme les autres, mais plutôt par complaisance que par goût. Le tabac en fumée, pris comme un remede, convient à l’asthme, aux maux de dents, et à plusieurs maladies causées par des sérositez, lesquelles trouvent trop de facilité à s’imbiber dans certaines parties : en ce sens là le tabac est assez propre pour les Turcs, que le turban rend fluxionaires, par son épaisseur qui empéche la transpiration, et parce qu’il ne couvre pas les oreilles. Le tabac d’ailleurs flatte leur fainéantise ; on ne conçoit pas comment ils crachent si peu en fumant, ils avalent leur salive par habitude et par propreté sans en être incommodez. Quand je voulois me contraindre chez d’honnêtes gens pour ne pas cracher, mon estomac en étoit tout bouleversé ; cependant la bienséance demande que l’on crache dans un mouchoir pour épargner les tapis qui sont à terre, ou bien il faut se pla-