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PREMIER AMOUR

cœur tressaillait et tout mon être allait vers lui. Il semblait deviner ce qui se passait entre moi, me tapotait la joue en passant, et s’en allait, ou bien s’occupait de quelque chose, ou se raidissait tout à coup comme lui seul savait le faire ; et moi, de mon côté, je me resserrais aussitôt et je devenais froid.

Ce n’étaient jamais mes prières silencieuses, mais pourtant faciles à comprendre, qui provoquaient ses rares accès d’affection. Ils se produisaient toujours d’une façon inattendue. Plus tard, en réfléchissant au caractère de mon père, je suis arrivé à cette conclusion que la vie de famille ne l’intéressait guère. Il aimait autre chose, et il prit à cette autre chose toutes les jouissances qu’elles pouvaient lui donner.

— Prends ce que tu peux, mais ne te laisse jamais prendre toi-même. S’appartenir, c’est là tout le « truc » de la vie, me dit-il un jour.