Kirsanof lui expliqua en peu de mots ce qu’il éprouvait, et rentra. Paul s’avança jusqu’au fond du jardin ; il se prit aussi à méditer, et leva aussi les yeux au ciel. Mais ses beaux yeux noirs ne reflétèrent que la lumière des étoiles. Il n’était pas romantique et la rêverie n’allait nullement à sa nature passionnée ; il était prosaïque, quoique accessible aux impressions tendres ; c’était un misanthrope à la française.
— Sais-tu ? dit le même soir Bazarof à son ami, il m’est venu en tête une idée magnifique. Ton père nous a annoncé aujourd’hui qu’il avait reçu une invitation de ce grand personnage, votre parent. Il ne s’y rendra pas ; si nous allions faire un tour à X… ? Tu es compris dans l’invitation de ce monsieur. Tu vois le vent qui souffle ici ; la course nous fera du bien, nous verrons la ville. Cela nous prendra tout au plus cinq ou six jours.
— Et tu reviendras ici avec moi ?
— Non ; il faut que j’aille voir mon père. Tu sais qu’il habite à trente verstes tout au plus de X… Il y a longtemps que je ne les ai vus, lui et ma mère ; il faut que je leur donne ce plaisir-là. Ce sont de braves gens, et mon père est avec cela un drôle de corps. D’ailleurs, ils n’ont que moi, je suis fils unique.
— Resteras-tu longtemps ?
— Je ne crois pas. Je suppose que je m’y ennuierai.
— Mais tu viendras nous voir en repassant ?