Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.

au Vatican ; ils traitent Raphaël d’imbécile, parce qu’il fait autorité, comme ils le disent, et ceux qui s’expriment ainsi sont l’impuissance en personne ; leur imagination ne dépasse pas la « jeune fille à la fontaine[1] ; » ils ont beau faire, leurs efforts ne vont pas au delà ! et notez que cette peinture même est détestable. Cependant vous avez ces gaillards-là en grande estime, n’est-ce pas ?

— Quant à moi, répondit Bazarof, je ne donnerais pas deux sous de Raphaël, et je pense qu’ils ne valent pas mieux que lui.

— Bravo ! bravo ! entends-tu, Arcade… Voilà comment les jeunes gens contemporains doivent s’exprimer ! Oh ! je comprends à merveille qu’ils se pressent sur vos pas ! Autrefois ils sentaient la nécessité de s’instruire ; ne se souciant pas de passer pour des ignorants, ils étaient bien forcés de travailler. Maintenant ils peuvent se contenter de dire : tout n’est que fatras et sottise dans ce monde ! et le tour est joué. Ils ont bien raison de se réjouir ; jadis ils n’étaient que des nigauds, les voilà d’emblée à cette heure transformés en nihilistes.

— Il me semble que vous oubliez le sentiment de dignité personnelle dont vous faites tant de cas, — répondit flegmatiquement Bazarof, tandis que l’indignation colorait le front et animait les yeux de son ami.

  1. La plupart des jeunes peintres russes qui se rendent à Rome aux frais du gouvernement choisissent ce sujet pour leur première œuvre.