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éloignée de son bien, et il y coucha à l’auberge. La propreté de la chambre qu’on lui donna et la blancheur des draps lui causèrent une agréable surprise. « L’hôtesse ne serait-elle pas Allemande ? » se demanda-t-il ; mais il se trompait. C’était une Russe âgée d’une cinquantaine d’années, habillée avec soin, dont la figure était intelligente et douce, la parole grave. Il causa avec elle en prenant le thé, et elle lui plut beaucoup. Il venait de s’établir dans sa nouvelle maison, et, ne voulant plus avoir de serfs à son service, il cherchait des serviteurs libres ; l’hôtesse, de son côté, se plaignait du petit nombre des voyageurs, de la dureté des temps ; il lui proposa de remplir les fonctions d’économe dans sa maison : elle y consentit. Son mari était mort depuis longtemps ; il l’avait laissée avec une fille unique qui était Fénitchka. Deux ou trois semaines après le retour de Kirsanof, Arina Savichna (c’était le nom de la nouvelle femme de charge) arriva à Marino avec sa fille et s’installa dans l’aile de la maison. Le hasard avait servi Kirsanof à souhait. Arina mit son ménage sur un excellent pied. Personne ne s’occupait alors de Fénitchka qui avait déjà dix-sept ans accomplis, et on ne la voyait guère ; elle vivait tranquillement comme une souris dans son trou ; le dimanche seulement il arrivait à Kirsanof de remarquer dans un coin de l’église du village le profil délicat d’un blanc visage de jeune fille. Plus d’une année s’écoula ainsi.

Un matin Arina entra dans le cabinet de Kirsanof, et, après avoir fait un profond salut, suivant son habi-