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prendre à lire, et nous ne savons pas encore l’abc.

« Allons ! tu es bien véritablement un nihiliste, » pensa Kirsanof. — Quoi qu’il en soit, reprit-il, permettez-moi de recourir à vous au besoin. Mais n’est-il pas temps, mon frère, d’aller causer avec l’intendant ?

Paul se leva.

— Oui, dit-il, sans s’adresser à aucun des assistants, il est malheureux d’habiter la campagne quatre ou cinq ans de suite, loin de tous les grands esprits ! On ne tarde pas à y devenir un véritable imbécile. On prend grand soin de ne pas oublier tout ce que l’on a appris ; mais, bah ! On découvre un beau jour que ce sont des niaiseries, des choses oiseuses dont aucun homme raisonnable ne s’occupe plus aujourd’hui, et qu’on est un vieux radoteur. Qu’y faire ? Il paraît que la jeunesse est décidément plus sage que nous autres.

Paul tourna lentement sur les talons et s’éloigna à pas comptés. Son frère le suivit.

— Est-il toujours de cette force ? demanda froidement Bazarof dès que la porte fut fermée.

— Écoute, Eugène, lui dit son ami, tu as été trop roide avec lui ; tu l’as blessé.

— Vraiment ? Il faudrait peut-être les ménager, ces aristocrates de taupinière ! Mais tout cela n’est qu’amour-propre, habitudes de ci-devant lion, fatuité ! Pourquoi n’a-t-il pas continué son rôle à Pétersbourg puisqu’il s’y sentait appelé ?… Au reste, que le bon Dieu le bénisse ! J’ai trouvé une variété assez rare du dytiscus marginatus ; tu sais, je te le montrerai.