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— Pourquoi le ferais-je ? Et à quoi devrais-je croire ? On me démontre une chose raisonnable ; j’en conviens, et tout est dit.

— Les Allemands disent donc toujours des choses raisonnables ? murmura Paul Petrovitch ; et sa figure prit une telle expression d’indifférence et d’impassibilité, qu’il paraissait s’être élevé dans une sphère parfaitement inaccessible aux agitations terrestres.

— Pas toujours, riposta Bazarof avec un bâillement contenu, comme pour donner à entendre que cette discussion oiseuse lui devenait à charge.

Paul regarda Arcade d’un air qui semblait lui dire : « Il faut convenir que ton ami n’est guère poli. »

— Quant à moi, continua-t-il à haute voix, non sans un certain effort, — je reconnais humblement que je n’aime pas beaucoup messieurs les Allemands. J’entends parler des véritables Allemands, et non point des Allemands-Russes ; on sait de reste ce que valent ces derniers. Oui, les Allemands de l’Allemagne ne me vont pas. Autrefois encore on pouvait les supporter ; ils avaient des hommes connus… Schiller, Gœthe, par exemple… Mon frère porte à ces écrivains une estime toute particulière… Mais à cette heure je ne vois plus chez eux que des chimistes et des matérialistes…

— Un bon chimiste est vingt fois plus utile que le meilleur poëte, dit Bazarof.

— Vraiment ? répondit Paul en levant un peu les sourcils comme s’il venait de se réveiller ; l’art vous semble donc une chose absolument sans valeur ?