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peut-être par atteindre au bonheur domestique, peut-être même à l’amour. La princesse X… est morte et oubliée depuis le jour de son décès. Le père et le fils Kirsanof se sont établis à Marino ; leurs affaires commencent à marcher un peu mieux ; Arcade est devenu un bon agronome, et la ferme rapporte déjà un revenu assez considérable. Nikolaï Pétrovitch a été choisi pour juge de paix[1] et remplit ses fonctions avec le plus grand zèle ; il parcourt sans cesse le district qui lui est assigné, prononce de longs discours, car il pense que le paysan a besoin d’être bien « raisonné, » c’est-à-dire qu’il faut lui répéter la même chose jusqu’à satiété ; et cependant, à dire vrai, il ne parvient à satisfaire pleinement ni MM. les gentilshommes éclairés qui discutent sur la « mancipation, » tantôt avec affectation, tantôt avec mélancolie, ni les seigneurs incultes qui maudissent ouvertement cette malheureuse « mouncipation. » Les uns et les autres le trouvent trop mou. Il est né un fils à Katérina Serghéïevna, et Mitia est déjà un petit gaillard qui court et bavarde assez gentiment. Fénitchka, maintenant Fédossia Nikolaïevna, n’aime personne au monde, après son mari et son fils, autant que sa belle-sœur, et lorsque celle-ci se met au piano, elle resterait volontiers à ses côtés toute la journée. N’oublions point Pierre ; il est devenu tout à fait stupide et plus

  1. Fonctionnaires momentanément créés et chargés d’aplanir les difficultés que l’abolition du servage fait naître entre les paysans et leurs anciens seigneurs.