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Dieu ! répondait la vieille en soupirant, je lui mettrais bien un sachet de reliques au cou, mais il n’y consentirait pas. Vassili Ivanovitch tenta à plusieurs reprises d’interroger prudemment Bazarof sur ses occupations, sur sa santé, sur Arcade… Mais Bazarof lui répondait de mauvaise grâce, et finit par lui dire avec dépit : — On dirait que tu marches autour de moi sur la pointe des pieds. Cette manière-là est encore plus mauvaise que la première. — Allons ! allons ! je ne le ferai plus… reprit précipitamment le pauvre Vassili Ivanovitch. Les conversations politiques n’eurent pas plus de succès. Un jour, ayant abordé la grande question du progrès à propos du prochain affranchissement des paysans, il s’imagina que cela plairait à son fils ; mais celui-ci répondit avec indifférence : — Hier, en passant derrière la haie du jardin j’entendis des petits paysans s’égosiller à crier, au lieu d’une de leurs vieilles chansons : « Le temps de la fidélité est venu, les cœurs sentent les atteintes de l’amour… » Voilà ton progrès !

Bazarof se rendait quelquefois au village, et se mettait à causer, suivant son habitude, d’un air railleur, avec le premier paysan venu. — Voyons, lui disait-il, expose-moi tes idées : on prétend que vous constituez la force et l’avenir de la Russie ; avec vous commencera une nouvelle époque de notre histoire ; vous nous donnerez notre véritable langue, et de bonnes lois. — Le paysan se taisait, ou bien il prononçait des paroles dans le genre de celles-ci : Nous pourrions bien effectivement, parce que d’ailleurs… selon la règle, par exemple, qui nous