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Madame Odintsof se mit de nouveau à rire et se détourna immédiatement.

— La jeunesse d’aujourd’hui est diantrement rusée, dit Bazarof en riant à son tour. — Adieu, ajouta-t-il après un moment de silence. Je vous souhaite de terminer cette affaire le plus agréablement possible, je m’en réjouirai de loin.

Madame Odintsof se tourna vivement de son côté.

— Est-ce que vous partez ? Pourquoi ne resteriez vous pas maintenant… Restez donc… votre conversation est amusante… on croit marcher sur le bord d’un précipice. On a peur dans le premier moment, puis on se sent une audace qui surprend. Restez.

— Je suis sensible à votre invitation, ainsi qu’à la bonne opinion que vous avez de mes petits talents de conversation. Mais je trouve que je hante déjà depuis trop longtemps un monde qui n’est pas le mien. Les poissons volants peuvent bien se tenir pendant quelque temps en l’air, mais ils finissent par retomber dans l’eau ; permettez-moi de replonger aussi dans mon élément naturel.

Madame Odintsof regarda Bazarof. Un rire amer contractait son pâle visage. « Celui-ci m’a aimée ! » se dit-elle, et elle lui tendit la main avec une pitié affectueuse.

Mais il l’avait aussi comprise.

— Non ! dit-il en faisant un pas en arrière. Quoique pauvre, je n’ai encore jamais accepté d’aumône. Adieu, et portez-vous bien.