— Va donc chercher de l’eau, imbécile ! cria Bazarof.
— C’est inutile… Le vertige s’est complètement dissipé… aidez-moi à m’asseoir… comme ça… il suffit de bander cette égratignure avec n’importe quoi, et je reviendrai à la maison à pied ; on pourrait aussi m’envoyer un drochki. Nous en resterons-là si vous voulez. Vous vous êtes conduit en homme d’honneur… aujourd’hui… aujourd’hui, notez-le bien.
— Il est inutile de rappeler le passé, répondit Bazarof, et quant à l’avenir, ne vous en embarrassez pas non plus, car je compte détaler d’ici au plus vite. Maintenant, laissez-moi vous bander la jambe, votre blessure est légère, mais il vaut toujours mieux arrêter le sang. Avant tout il faut que je rappelle ce mortel-là au sentiment de l’existence.
Bazarof saisit Pierre au collet, le secoua rudement et l’envoya chercher un drochki.
— Ne va pas effrayer mon frère, lui dit Paul, ne t’avise pas de lui rien rapporter.
Pierre s’éloigna rapidement, et, tandis qu’il courait chercher le drochki, les deux adversaires restaient assis l’un à côté de l’autre sans parler. Paul évitait de regarder Bazarof ; il n’avait aucune envie de se raccommoder avec lui, il se reprochait son emportement, sa maladresse, toute sa conduite dans cette affaire, quoiqu’il sentît fort bien qu’elle s’était terminée de la façon la plus heureuse possible. « Il nous débarrassera du moins de sa présence, » se disait-il pour se consoler,