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tous les points du ciel. Bazarof s’avança jusqu’au bois, s’assit à l’ombre, et apprit à Pierre le service que l’on attendait de lui. Le laquais civilisé fut pris d’une mortelle épouvante ; mais Bazarof le tranquillisa en l’assurant qu’il n’aurait autre chose à faire que de rester à regarder dans l’éloignement, sans encourir la moindre responsabilité.

— En attendant, ajouta-t-il, considère le rôle important que tu vas remplir.

Pierre agita les bras, baissa la tête et s’appuya, la figure toute verte de peur, contre un arbre.

La route qui conduisait à Marino suivait un petit bois ; la poussière légère dont elle était recouverte n’avait point été dérangée depuis la veille, ni par une roue, ni par un pied quelconque. Bazarof jetait involontairement les yeux du côté de la route, cueillait et mâchait quelque brin d’herbe, et se répétait continuellement : « Quelle sottise ! » La fraîcheur de la matinée le fit frissonner deux ou trois fois… Pierre le regarda d’un air morne ; mais Bazarof se contenta de sourire ; il n’avait pas la moindre peur.

Des pas de chevaux retentirent sur la route… Un paysan se montra bientôt après ; il venait du village, et chassait devant lui deux chevaux qui avaient des entraves aux pieds. En passant devant Bazarof, il le regarda d’une façon étrange, sans toucher à son bonnet, ce qui parut à Pierre un mauvais présage et l’émut visiblement.

« Cet homme-là, pensa Bazarof, s’est aussi levé de