Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/249

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Qui choisirez-vous pour cela ? permettez-moi de vous le demander.

— Mais Pierre, par exemple.

— Quel Pierre ?

— Le valet de chambre de votre frère. C’est un homme tout à fait à la hauteur de la civilisation contemporaine, et qui remplira son rôle très-certainement avec le comme il faut nécessaire en pareil cas.

— Je crois que vous plaisantez, mon cher monsieur ?

— Nullement, monsieur ; réfléchissez à ma proposition, et vous reconnaîtrez qu’elle est pleine de bon sens et fort naturelle. Une alêne ne peut pas se cacher dans un sac[1], et puis je me charge de préparer Pierre à la circonstance et de l’amener sur le champ de bataille.

— Vous continuez à plaisanter, dit Paul en se levant. Mais, après l’aimable empressement que vous venez de montrer, je n’ai pas le droit de le prendre en mauvaise part. Ainsi donc tout est convenu… Avez-vous des pistolets ?

— À quel propos en aurais-je, Paul Petrovitch ? je ne suis pas un guerrier.

— En ce cas, je vous offre les miens. Il y a plus de cinq ans que je ne m’en suis servi, et vous pouvez me croire sur parole.

— Cette assertion est de nature à me tranquilliser.

Paul alla prendre sa canne.

— Maintenant, mon cher monsieur, continua-t-il,

  1. Proverbe russe qui veut dire qu’on ne peut pas dissimuler bien longtemps.