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séjour ici, lorsque je ne me privais point encore du plaisir de causer avec vous, il m’a été donné de connaître votre opinion sur beaucoup de sujets ; mais autant qu’il m’en souvient, vous n’avez jamais dit en ma présence ce que vous pensiez du duel… du duel en général. Permettez-moi de vous le demander ?

Bazarof, qui s’était levé pour aller à la rencontre de Paul, s’assit sur le bord de la table et se croisa les bras.

— Voici mon opinion, dit-il : le duel, au point de vue théorique, est une absurdité ; mais il n’en est pas de même dans la pratique.

— Vous voulez dire, si je vous comprends bien, que laissant de côté votre opinion théorique sur le duel, vous ne permettriez pas, dans la pratique, qu’on vous insultât, sans en demander satisfaction ?

— Vous avez parfaitement saisi ma pensée.

— C’est fort bien. Je suis charmé de savoir que telle est votre manière de voir. Cela met fin à mon ignorance…

— À votre incertitude, voulez-vous dire.

— Peu importe, monsieur ; je tiens uniquement à me faire comprendre ; je ne suis pas… un rat de séminaire. Vos paroles me dispensent de certaine obligation assez triste. Je suis décidé à me battre avec vous.

Bazarof écarquilla les yeux.

— Avec moi ?

— Oui ; avec vous en personne.

— Et à quel propos ? je n’y comprends rien.