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res ; il y avait pourtant dans la maison une personne à laquelle il ne s’ouvrait pas entièrement, il est vrai, mais dont la société lui plaisait ; cette personne était Fenitchka. Il la rencontrait ordinairement le matin de bonne heure, dans le jardin ou dans la cour ; il n’entrait jamais dans sa chambre, et elle ne s’approcha qu’une seule fois de sa porte, pour lui demander si elle ferait bien de baigner Mitia. Et pourtant, loin de le craindre, elle avait en lui une entière confiance et se sentait en sa présence plus libre et plus hardie que devant Nicolas Petrovitch lui-même. Il serait assez difficile d’en dire la raison ; peut-être cela tenait-il à ce qu’elle comprenait instinctivement qu’il n’y avait chez Bazarof absolument rien du gentilhomme, du barine, rien de cette espèce de supériorité qui attire et effraye tout à la fois. Il était à ses yeux un excellent docteur et un honnête homme. Sa présence ne l’empêchait point de s’occuper de son enfant, et un jour qu’elle se sentit prise subitement d’un étourdissement et d’un mal de tête, elle accepta de sa main une cuillerée de médecine. Devant Nicolas Petrovitch, elle se montrait moins familière avec Bazarof, nullement par calcul, mais par je ne sais quel sentiment de convenance. Paul lui inspirait plus que jamais de la crainte ; il semblait épier sa conduite depuis quelque temps, et survenait tout à coup, comme s’il fût sorti de dessous terre, derrière le dos de Fenitchka, dans son costume anglais, avec sa figure immobile, son regard pénétrant et les mains dans ses poches. « Il vous donne le frisson, » disait Fenitchka à Dounia-