Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/236

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un infusoire transparent avaler un atome verdâtre, qu’il tournait et retournait avec des appendices fixés dans sa gorge. Nicolas Petrovitch visitait beaucoup plus souvent que son frère la chambre de Bazarof ; il serait venu tous les jours y prendre sa leçon, comme il disait, si les affaires domestiques ne l’avaient appelé ailleurs. Il ne gênait en rien le jeune naturaliste ; il s’asseyait dans un coin de la chambre, suivait attentivement ses expériences et ne se permettait que rarement de lui adresser une question discrète. Pendant le dîner et le souper, il cherchait à amener la conversation sur la physique, la géologie ou la chimie, tous les autres sujets, même les questions d’agronomie, sans parler, bien entendu, des affaires politiques, pouvant faire naître sinon des disputes, du moins des discussions désagréables. Kirsanof se doutait bien que l’aversion de son frère pour Bazarof n’avait point diminué. Une circonstance, peu importante d’ailleurs, vint le confirmer dans cette opinion. Le choléra commençait à se montrer dans les environs, et il avait même enlevé deux habitants de Marino. Paul en fut assez gravement atteint une nuit ; il souffrit jusqu’au matin, sans recourir à la science de Bazarof. Lorsqu’il le vit le lendemain et que celui-ci lui demanda pourquoi il ne l’avait pas fait appeler, il lui répondit, tout pâle encore, mais cependant peigné et rasé avec soin : « Il me semble vous avoir entendu dire que vous ne croyez pas à la médecine. » Tout cela n’empêchait point Bazarof de poursuivre sans relâche ses travaux solitai-