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XXII


Après avoir conduit Arcade jusqu’à sa voiture, avec des regrets ironiques et certains mots qui donnaient à entendre qu’il devinait le véritable but de son voyage, Bazarof se mit à vivre tout à fait à l’écart ; il semblait en proie à une fièvre de travail. Il ne se disputait plus avec Paul, celui-ci prenant des airs par trop aristocratiques dans ces circonstances, et s’exprimant moins par des paroles que par des sons. Une fois seulement Paul s’était lancé dans une discussion avec le nihiliste à propos des droits de la noblesse des provinces de la Baltique, qui étaient à l’ordre du jour dans ce temps-là, mais il s’arrêta tout à coup, et dit avec une froide politesse :

— Au reste, nous ne nous entendrons jamais. Moi, du moins, je n’ai pas l’honneur de vous comprendre.

— Je n’en doute pas ! s’écria Bazarof. L’homme peut tout comprendre : les ondulations de l’éther et les changements qui s’opèrent au soleil, mais il ne comprendra jamais qu’on puisse se moucher autrement qu’il ne le fait.

— Vous trouvez cela spirituel ? reprit Paul, et il alla se placer à l’autre extrémité de la chambre.

Cependant il lui arriva de demander à Bazarof la permission d’assister à ses expériences. Paul approcha même une fois du microscope son visage lavé et parfumé avec les plus rares essences ; il s’agissait de voir