Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.

meurtrie de coups de poings, souvent en état d’ivresse, et demandaient à grands cris justice ; au milieu du tumulte, les lamentations aiguës et les sanglots des femmes se mêlaient aux vociférations, aux injures des hommes. Il fallait juger le différend, élever la voix jusqu’à s’enrouer, tout en sachant d’avance que ces efforts seraient inutiles. On manquait de bras pour la moisson ; un odnodvorets[1], du voisinage, dont les traits honnêtes inspiraient la plus grande confiance, et qui s’était engagé à fournir des travailleurs au prix de deux roubles la déciatine, manqua à sa parole de la façon la plus scandaleuse ; les paysannes du village exigeaient une main-d’œuvre inouïe, et en attendant, les blés commençaient à s’égrener ; même tribulation pour la récolte des foins ; et comme si ces ennuis ne suffisaient point, la Chambre des tutelles réclamait avec menaces le payement immédiat des intérêts échus…

— Je suis à bout de forces ! s’écria plus d’une fois Nicolas Petrovitch. Impossible de corriger ces gens-là moi-même, et mes principes ne me permettent pas de recourir à la police. Pourtant ils ne feront rien sans la crainte des châtiments.

Du calme ! du calme ! lui répondait Paul Petrovitch, et tout en faisant cette recommandation, il paraissait très-mécontent lui-même, et se tirait la moustache.

  1. Paysan libre, d’origine noble.