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portait ; Fedka lui-même était tout déconcerté, et finit par quitter ses bottes. Vassili Ivanovitch se donnait plus de mouvement que jamais ; il s’efforçait de cacher son chagrin, parlait très-haut et marchait avec bruit ; mais ses traits étaient creusés et ses yeux avaient toujours l’air d’éviter son fils. Arina Vlassievna pleurait silencieusement ; elle aurait tout à fait perdu la tête, si son mari ne l’eût longuement sermonnée dans la matinée. Lorsque Bazarof, après avoir répété à plusieurs reprises qu’il reviendrait avant un mois, s’arracha enfin aux bras qui le retenaient et s’assit dans le tarantass, lorsque les chevaux partirent, et que le bruit de la clochette se mêla au roulement des roues, lorsqu’il devint inutile de regarder plus longtemps ; lorsque la poussière se fut entièrement abattue, et que Timoféitch, courbé en deux et chancelant, eut regagné son gîte ; lorsque enfin les deux vieillards se retrouvèrent de nouveau seuls dans leur maison qui leur semblait aussi être devenue plus étroite et plus vieille… Vassili Ivanovitch, qui peu de minutes auparavant agitait si fièrement son mouchoir du haut du perron, se jeta sur une chaise et laissa tomber sa tête sur sa poitrine. « Il nous a abandonnés ! » dit-il d’une voix tremblante : « abandonnés ! il s’ennuyait auprès de nous. Me voilà seul maintenant, seul ! » répéta-t-il à plusieurs reprises, en dressant chaque fois l’index de la main droite[1]. Arina Vlassievna s’approcha de lui,

  1. Un proverbe russe dit : « Seul comme un doigt. »