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Mais ils ne purent s’endormir ni l’un ni l’autre. Un sentiment qui ressemblait à de l’hostilité se glissait dans leur cœur. Au bout de quelques minutes ils ouvrirent les yeux, et se regardèrent en silence.

— Vois, dit tout à coup Arcade, vois cette feuille desséchée qui vient de se détacher d’un platane et qui tombe à terre ; elle voltige dans l’air absolument comme le ferait un papillon. N’est-ce pas étrange ? Ce qu’il y a de plus triste et de plus mort, est semblable à ce qu’il y a de plus gai et de plus vivant !

— Ô mon cher Arcade Nicolaïevitch ! s’écria Bazarof, je te le demande en grâce : ne parle pas poétiquement.

— Je parle comme je sais… Mais en vérité cela tourne au despotisme. Une pensée me vient, pourquoi ne l’exprimerais-je pas ?

— C’est juste ; mais pourquoi ne dirais-je pas également ce que je pense ? Je trouve qu’il est indécent de parler poétiquement.

— Il est sans doute plus convenable, à ton avis, de dire des grossièretés ?

— Hé ! hé ! je vois que tu es bien décidé à marcher sur les traces de ton oncle. Comme cet idiot serait heureux s’il pouvait t’entendre !

— Comment as-tu appelé Paul Petrovitch ?

— Comme il le mérite : un idiot.

— Cela devient insoutenable ! s’écria Arcade.

— Ah ! le sentiment de la famille s’est réveillé, dit tranquillement Bazarof. — J’ai remarqué qu’il est fortement enraciné chez tous les hommes. Ils sont capables