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sur l’emplacement d’une briqueterie. J’étais alors persuadé que cet arbre et ce creux avaient la puissance d’un talisman : jamais je ne m’ennuyais dans leur voisinage. Je ne comprenais pas encore à cette époque que si je ne m’ennuyais pas, c’était parce que j’étais un enfant. Maintenant que j’ai grandi, le talisman a perdu son pouvoir.

— Combien d’années as-tu passées ici en tout ? demanda Arcade.

— Deux années de suite ; puis nous y venions de temps en temps. Nous menions une vie nomade, nous rôdions presque toujours d’une ville à l’autre.

— Cette maison est-elle bâtie depuis longtemps ?

— Oui… c’est mon grand-père qui l’a construite, le père de ma mère.

— Qui était-il, ton grand-père ?

— Le diable m’emporte si je le sais ! Un major en second, à ce que je crois. Il avait servi sous Souvarof et racontait perpétuellement comment ils avaient franchi les Alpes. Il blaguait probablement.

— C’est donc pour cela que vous avez dans le salon un portrait de Souvarof ? Moi, j’aime beaucoup les maisonnettes comme la vôtre, vieilles et chaudes ; elles ont aussi une odeur toute particulière.

— On y sent l’huile[1] et la lessive, répliqua Bazarof. Et que de mouches dans ces gentilles demeures ! Pouah !

  1. Employée pour les lampes qui brûlent devant les images.