Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dent ; je lui ai dit aussi de manger des carottes et de prendre de l’eau de soude. Mais ce ne sont là que des polliatifs ; il faudrait lui administrer quelque chose de plus énergique. Quoique tu te moques de la médecine, je suis certain que tu peux me donner un bon conseil.

— Nous en parlerons plus tard. Allons prendre le thé.

Vassili Ivanovitch sauta lestement du banc et entonna ces vers de Robert le Diable :

Le vin, le vin, le vin, le jeu, les belles,
Voilà, voilà, voilà mes seuls amours.

— Quelle vitalité ! dit Bazarof en quittant la fenêtre.

On était au milieu de la journée. Il faisait une chaleur étouffante, malgré le fin rideau de nuages blanchâtres qui voilaient le soleil. Tout se taisait ; les coqs seuls chantaient dans le village, et leurs voix traînantes causaient à tous ceux qui les entendaient une singulière sensation de paresse et d’ennui. De temps en temps, partant de la cime d’un arbre, s’élevait comme un appel plaintif le cri perçant d’un jeune épervier. Arcade et Bazarof étaient couchés à l’ombre d’une petite meule de foin, sur quelques brassées d’une herbe qui rendait un bruit sec au moindre frottement, quoiqu’elle fût encore verte et odorante.

— Ce tremble-là, dit Bazarof, me rappelle mon enfance ; il s’élève au bord d’un creux, qui s’est formé