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mait dix heures par jour, et ne se couchait pas du tout, si Vassili Ivanovitch se plaignait d’un mal de tête. L’unique livre qu’elle avait lu, était intitulé : Alexis ou la chaumière dans la forêt ; elle n’écrivait qu’une lettre ou deux tout au plus par an, et se connaissait admirablement en confitures et conserves, quoiqu’elle ne mît elle-même la main à rien et n’aimât pas en général à bouger de place.

Arina Vlassievna était du reste fort bonne, et ne manquait point d’un certain bon sens. Elle savait qu’il existait au monde des maîtres pour commander, et des hommes du peuple pour obéir, c’est pourquoi elle n’avait rien à redire à l’obséquiosité des inférieurs, à leurs salutations jusqu’à terre ; mais elle les traitait avec une grande douceur, ne laissait point passer un mendiant sans lui donner l’aumône, et ne critiquait personne, quoiqu’elle ne fût pas ennemie des commérages. Elle avait eu dans sa jeunesse une figure agréable ; elle jouait du clavecin et parlait un peu le français. Mais pendant les longs voyages de son mari, qu’elle avait épousé contre son gré, elle avait engraissé et oublié la musique et le français. Tout en adorant son fils, elle le craignait beaucoup ; c’était Vassili Ivanovitch qui administrait son bien, et elle lui laissait à cet égard pleine liberté ; elle soupirait, s’éventait avec son mouchoir, et levait les sourcils de peur, lorsque son vieux mari commençait à lui parler des réformes en voie d’exécution et de ses propres plans. Elle était méfiante, s’attendait perpétuelle-