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Anna Serghéïevna le suivit à pas lents. Elle appela Katia, lui prit le bras et ne la quitta pas jusqu’au soir. Elle ne se mit point au jeu, rit du bout des dents à tout propos, ce qui n’allait nullement à sa figure pâle et fatiguée. Arcade n’y comprenait rien et l’observait comme le font tous les jeunes gens, c’est-à-dire qu’il se demandait continuellement : « Qu’est-ce que cela signifie ? » Bazarof s’était enfermé dans sa chambre. Il parut pourtant pour le thé. Madame Odintsof aurait bien voulu lui adresser quelques bonnes paroles ; mais elle ne savait que lui dire.

Une circonstance imprévue vint à son secours : le maître d’hôtel annonça Sitnikof. Il serait difficile de rendre exactement l’étrange entrée que fit le jeune progressiste. S’étant décidé, avec l’impudence qui lui était propre, à aller chez une femme qu’il connaissait à peine, qui ne l’avait jamais invité, mais chez laquelle il savait que des gens d’esprit de sa connaissance se trouvaient pour le moment, il n’en était pas moins terriblement intimidé ; et, au lieu de prononcer les excuses et les compliments qu’il avait préparés d’avance, il balbutia je ne sais quelles balivernes, disant que Eudoxie Koukchine l’avait envoyé savoir des nouvelles d’Anna Serghéïevna, et qu’Arcade Nikolaïévitch s’était toujours exprimé sur le compte de celle-ci avec les plus grands éloges. Il resta court au beau milieu de ces stupidités, et perdit la tête si bien, qu’il s’assit sur son propre chapeau. Cependant, comme personne ne le chassa, et qu’Anna Serghéïevna