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se dit : « Non, non, non. » Après le dîner, elle se rendit avec tout le monde dans le jardin ; et voyant que Bazarof désirait lui parler, elle fit quelques pas en avant et s’arrêta.

Il s’approcha d’elle, toujours les yeux baissés, et lui dit d’une voix sourde :

— Je vous dois des excuses. Il est impossible que vous ne m’en veuillez pas.

— Non ; je ne suis pas fâchée contre vous, répondit madame Odintsof ; mais je suis affligée.

— Tant pis. Dans tous les cas, je suis assez puni. Ma position, vous en conviendrez, est des plus sottes. Vous m’avez écrit : « Pourquoi partir ? » Et moi je ne peux ni ne veux rester. Demain je serai parti.

— Eugène Vassilitch, pourquoi…

— Pourquoi je pars ?

— Non ; ce n’est pas ce que je voulais dire.

— Le passé ne revient pas, Anna Serghéïevna… et tôt ou tard cela devait arriver. Vous le voyez, il faut absolument que je parte. Je ne pourrais rester qu’à une seule condition. Cette condition ne se réalisera jamais. Pardonnez à ma hardiesse ; mais, n’est-ce pas, vous ne m’aimez point, et vous ne m’aimerez jamais ?

Les yeux de Bazarof étincelèrent pour un moment sous leurs sourcils noirs.

Anna Serghéïevna ne lui répondit pas. — « Cet homme me fait peur, » se dit-elle en ce moment.

— Adieu ; lui dit Bazarof, comme s’il eût deviné sa pensée, et il se dirigea vers la maison.