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trista et versa même quelques larmes sans bien en comprendre la raison. Ce n’était point la honte d’avoir été humiliée qui la faisait pleurer. Elle ne se sentait même pas humiliée ; elle se sentait plutôt coupable. Sous l’influence de divers sentiments confus, de la conscience de sa vie qui s’écoulait, d’un désir de nouveauté, elle s’était avancée peu à peu jusqu’à une certaine limite ; et ayant jeté les yeux au delà, elle y avait aperçu non pas un abîme, mais le vide ou la laideur.


XIX


Quoique madame Odintsof eût un grand empire sur elle-même et fût au-dessus de bien des préjugés, elle ne se sentit pourtant pas à son aise lorsqu’il lui fallut paraître dans la salle à manger. Au reste, le repas s’écoula sans aucun incident. Porphyre Platonitch arriva et raconta diverses anecdotes. Il revenait de la ville. Entre autres nouvelles, il y avait appris que le gouverneur avait prescrit aux fonctionnaires attachés à sa personne de porter des éperons, dans le cas où il les enverrait quelque part à cheval, pour plus de célérité. Arcade causait à voix basse avec Katia et rendait, en fin diplomate, de petits services à la princesse. Bazarof était obstinément silencieux et sombre. Madame Odintsof, lorsqu’il tenait les yeux baissés, jeta deux ou trois fois un regard furtif sur sa figure sévère et bilieuse, empreinte d’une fermeté méprisante et elle