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bourgs ; il secoua fortement la main rouge et large que celui-ci lui tendit sans beaucoup d’empressement.

— Je suis bien heureux, lui dit-il, d’apprendre votre bonne visite. Permettez-moi de vous demander votre nom et celui-ci de M. votre père[1].

— Eugène Vassilief, répondit Bazarof d’une voix forte mais lente ; et, rabattant le col de son caban, il se laissa voir en plein à Kirsanof. Il avait le visage long et maigre, le front ouvert, le nez large dans le haut et effilé par le bout, de grands yeux verdâtres, et des favoris longs et pendants couleur de sable ; un sourire tranquille se jouait sur ses lèvres, toute sa physionomie exprimait l’intelligence et la confiance en soi.

— J’espère, mon cher Eugène Vassilitch, reprit Kirsanof, que vous ne vous ennuierez pas chez nous.

Les lèvres de Bazarof s’entr’ouvrirent un peu ; mais il ne répondit rien, et se contenta de soulever sa casquette. Malgré son épaisse chevelure d’un châtain foncé, il était facile de distinguer les protubérances prononcées de son large crâne.

— Arcade, dit tout à coup Kirsanof en se tournant

  1. En Russie on se sert rarement du mot monsieur en s’adressant à son égal. On l’appelle par son nom de baptême auquel on ajoute le nom de baptême du père et la terminaison of ou ef, ou, ce qui est plus poli, vitch. Cette dernière terminaison, qui n’appartenait autrefois qu’à la plus haute noblesse, est devenue vulgaire, si bien qu’on ne se sert qu’à l’égard des inférieurs des finales of ou ef.