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vouloir s’avouer que ces « niaiseries » l’occupaient lui-même. Katia de son côté ne l’empêchait pas de faire le mélancolique. Arcade se trouvait bien avec Katia, madame Odintsof avec Bazarof… et c’est pourquoi, lorsqu’ils se réunissaient tous les quatre, les deux paires se séparaient ordinairement au bout de peu d’instants, et s’en allaient chacune de son côté, surtout pendant les promenades. Katia adorait la nature, et Arcade l’aimait aussi, quoiqu’il n’osât pas l’avouer ; madame Odintsof y était assez indifférente, ainsi que Bazarof. Les deux amis se trouvant presque constamment séparés, il en résulta que leurs anciens rapports commencèrent à se modifier. Bazarof cessa de parler avec Arcade de madame Odintsof, et même, de critiquer ses « manières aristocratiques ; » il continuait à louer Katia, et il invitait seulement Arcade à modérer les tendances sentimentales qu’il remarquait en elle ; mais ses louanges étaient brèves, ses conseils un peu secs ; il s’entretenait avec Arcade beaucoup moins qu’autrefois… ; il l’évitait même ; il semblait presque avoir honte devant lui… Arcade remarquait fort bien tout cela ; mais il ne le confiait à personne.

La véritable cause de toute cette nouveauté, était le sentiment que madame Odintsof avait inspiré à Bazarof, sentiment qui le tourmentait et le faisait enrager, et contre lequel il se serait récrié avec un rire méprisant et des injures cyniques, si quelqu’un s’était avisé d’y faire la moindre allusion. Bazarof aimait beaucoup les femmes et appréciait la beauté, mais il traitait