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lons, messieurs. Ma tante, voulez-vous venir prendre le thé ?

La princesse se leva en silence, et passa la première dans la salle à manger. Un petit domestique habillé en cosaque avança avec bruit près de la table un fauteuil garni de coussins, et la princesse s’y assit ; Katia qui était chargée de verser le thé, la servit la première dans une tasse ornée de ses armes. La vieille sucra son thé avec du miel (elle aurait cru commettre un péché en employant du sucre[1], et d’ailleurs, suivant elle, le sucre était trop cher : pourtant son entretien ne lui coûtait pas un kopek). Un instant après, elle demanda d’une voix rauque :

— Que dit le prince Ivane dans sa lettre ?

Personne ne lui répondit, et les jeunes gens comprirent bientôt que, tout en lui témoignant beaucoup de respect, on ne s’en occupait guère. « C’est pour la montre qu’on la tient ici… Une princesse,… cela fait bien dans un salon, » pensa Bazarof… Après le thé, madame Odintsof proposa d’aller faire une promenade ; mais il commençait à tomber quelques gouttes de pluie, et toute la société, à l’exception de la princesse, rentra dans le salon. Le voisin, amateur d’une partie de cartes, arriva ; il se nommait Porphyre Platonitch. C’était un petit homme replet et chauve, dont les pieds courts paraissaient faits au tour, d’ailleurs aimable et d’un caractère gai. Anna Sergheïevna qui parlait presque

  1. Parce qu’il est clarifié avec du sang.