Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques mots de musique, elle s’aperçut que Bazarof n’estimait point les arts, et elle revint peu à peu à la botanique, quoique Arcade se fût lancé dans une dissertation sur les mélodies nationales. Madame Odintsof continuait à le traiter comme un jeune frère ; elle semblait apprécier en lui la bonté et la franchise de la jeunesse : rien de plus.

Cette causerie calme, variée et vive se prolongea près de trois heures.

Les deux amis se levèrent enfin et se disposèrent à partir. Madame Odintsof, de la meilleure grâce du monde, tendit à l’un et à l’autre sa belle main blanche ; et, ayant un peu réfléchi, elle leur dit avec un sourire indécis, mais bienveillant « Si vous ne craignez pas l’ennui, messieurs, venez me voir à Nikolskoïe. »

— Pouvez-vous supposer, s’écria Arcade, que je ne m’estime trop heureux de…

— Et vous, monsieur Bazarof ?

Bazarof se borna à la saluer ; et Arcade eut lieu de faire une dernière observation qui le surprit encore beaucoup : il remarqua que son ami rougissait.

— Eh bien ; lui demanda-t-il dans la rue ; penses-tu toujours qu’elle soit… hon, hon ?

— Qui sait ? Elle s’est joliment tenue ! répondit Bazarof ; et, après un moment de silence, il ajouta : — Une vraie duchesse, une souveraine ! il ne lui manque qu’une couronne sur la tête et une queue à sa robe.