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il lui en savait gré, car les jeunes cœurs ne se trouvent point humiliés par la protection d’une jolie femme.

La musique se tut.

— Merci, dit madame Odintsof en se levant. Vous avez promis de me rendre visite ; j’espère que vous m’amènerez votre ami. Je suis très-curieuse de connaître un homme qui a l’audace de ne croire à rien.

Le gouverneur s’approchant de madame Odintsof, lui annonça que le souper était prêt, et lui donna le bras avec son air affairé. En s’éloignant, elle se retourna et fit à Arcade un petit signe de tête accompagné d’un demi-sourire. Celui-ci la salua profondément, et tout en la suivant des yeux (comme sa taille entourée des flots brillants de sa robe de soie noire lui parut élégante !) il se dit : « Elle a sans doute déjà complètement oublié que j’existe. » Et il ressentit presque aussitôt je ne sais quelle résignation qu’il prenait pour une générosité de bon goût…

— Eh bien ! demanda Bazarof à son ami aussitôt que celui-ci l’eût rejoint dans son coin, tu as été heureux ! On vient de me dire à l’instant que cette dame est… hon, hon ? Au reste, le monsieur qui me l’a affirmé pourrait bien être un sot. Mais qu’en penses-tu ? Est-elle vraiment… hon, hon ?

— Je ne comprends pas bien le sens de cette interjection, répondit Arcade.

— Allons donc, innocent !

— Si c’est comme cela, je ne comprends pas ton monsieur. Madame Odintsof est fort aimable, j’en con-