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la campagne. Madame Odintsof l’écoutait avec une politesse attentive, ouvrant et refermant son éventail ; le bavardage d’Arcade ne cessait que lorsqu’on engageait sa danseuse ; Sitnikof entre autres vint l’inviter deux fois. Elle revenait à sa place, s’asseyait, reprenait son éventail ; les mouvements de son sein n’étaient pas plus précipités qu’auparavant ; et Arcade recommençait ses récits, tout plein du bonheur de se sentir près d’elle, de lui parler en regardant ses yeux, son beau front, son visage presque grave mais si gracieux. Elle parlait peu, pourtant ses paroles révélaient une certaine expérience de la vie ; Arcade fut conduit à conclure de quelques-unes de ses remarques que, malgré sa jeunesse, elle avait déjà passé par bien des émotions et réfléchi sur bien des choses.

— Avec qui vous trouviez-vous, lorsque M. Sitnikof vous a présenté ? lui demanda-t-elle.

— Vous avez donc remarqué ce jeune homme ? répondit Arcade ; n’est-ce pas qu’il a une physionomie frappante ? C’est un nommé Bazarof, un ami à moi.

Arcade se mit à lui parler de son ami.

Il entrait dans tant de détails et s’exprimait avec tant de feu que madame Odintsof se tourna vers Bazarof et le regarda curieusement. Cependant la mazourka touchait à sa fin. Arcade regrettait d’être obligé de se séparer de sa danseuse ; il avait passé une heure si agréablement avec elle ! Ce n’est pas que pendant tout ce temps il n’eût toujours senti qu’elle le traitait, pour ainsi dire, avec une sorte de condescendance ; mais