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ainsi qu’elle se nomme, n’est-ce pas ? qu’est-ce que cette dame ?

— Elle est divine ! divine ! s’écria Sitnikof. Je vous présenterai à elle. Elle est spirituelle, riche et veuve. Malheureusement elle n’est pas encore assez développée ; il faudrait qu’elle se rapprochât un peu plus de notre Evdoxia. Je bois à votre santé, Evdoxia ! trinquons ! et toc, et toc, et tin, tin, tin, et toc, et toc, et tin, tin, tin !!!

— Victor, vous êtes un mauvais sujet.

Le déjeuner se prolongea encore longtemps. La première bouteille de champagne fut suivie d’une seconde, d’une troisième, et même d’une quatrième… Evdoxia bavardait sans interruption ; Sitnikof lui tenait tête. Ils discutèrent longtemps sur ce que c’est que le mariage, si c’est un préjugé ou un crime ; ils examinèrent la question de savoir si les hommes naissaient ou non avec les mêmes dispositions, et en quoi consiste à proprement parler l’individualité. Les choses en vinrent au point qu’Evdoxia, les joues enflammées par le vin et frappant de ses ongles aplatis les touches de son piano discord, commença à chanter d’une voix enrouée d’abord des chansons bohémiennes, puis la romance de Seimour-Chiff : Grenade rêve endormie. Sitnikof, la tête entourée d’une écharpe, se mit à représenter l’amoureux transi ; lorsque la chanteuse prononça ces paroles :

Dans mes baisers brûlants
Mes lèvres s’unissent aux tiennes,