Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.

considérait sans doute elle-même comme une bonne et simple créature, et pourtant, quoi qu’elle fît, il vous semblait toujours qu’elle avait eu l’intention de faire autre chose.

— Oui, oui, je vous connais, Bazarof, reprit-elle (suivant un usage particulier aux provinciales et même à quelques femmes de Moscou, elle nommait les hommes qu’elle voyait pour la première fois par leur nom de famille). Voulez-vous un cigare ?

— Un cigare, soit ! dit Sitnikof qui avait eu le temps de se jeter dans un fauteuil et de poser une jambe sur son genou ; — mais il faut aussi nous donner à déjeûner. Nous mourons de faim ; offrez-nous en même temps une bouteille de champagne.

— Sybarite ! répondit Evdoxia, et elle se mit à rire. (Lorsqu’elle riait, sa gencive supérieure se découvrait.) N’est-il pas vrai, Bazarof, que c’est un Sybarite ?

— J’aime le comfort, dit Sitnikof d’un air important ; cela ne m’empêche pas d’être libéral.

— Pas du tout ! s’écria Evdoxia ; et elle commanda à sa femme de chambre de préparer à déjeûner et de donner du champagne. — Qu’en pensez-vous ? demanda-t-elle à Bazarof, je suis sûre que vous partagez mon opinion.

— C’est ce qui vous trompe, répondit Bazarof ; un morceau de viande vaut mieux qu’un morceau de pain, même au point de vue de l’analyse chimique.

— Ah ! vous vous occupez de chimie ? C’est ma passion ! J’ai même inventé un mastic.