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— Oui, mais assez mal.

— Tant pis. Il y a quelques jolies femmes, et d’ailleurs il est honteux à un jeune homme de ne pas savoir danser. Ce n’est pas, je te le répète, que je tienne aux anciens usages, je ne suppose nullement que l’esprit soit dans les pieds, mais je trouve le byronisme ridicule, il a fait son temps.

— Pensez-vous donc, mon oncle, que ce soit le byronisme qui…

— Je te ferai faire la connaissance de nos dames ; je te prends sous mon aile, reprit Matveï Ilitch en riant d’un air satisfait. Tu y seras chaudement ? hein ?

Un domestique entra et annonça le président du bureau des finances, vieillard au regard mielleux, aux lèvres pincées, qui raffolait de la nature, surtout en été, lorsque, disait-il, la diligente abeille prélève un petit pot-de-vin de chaque petite fleur.

Arcade se retira.

Il trouva Bazarof à l’auberge où ils s’étaient arrêtés, et fit si bien, qu’il le décida à aller chez le gouverneur. « Soit, dit Bazarof ; quand on a pris le bât, il serait ridicule de se refuser à tirer. Nous sommes venus pour voir messieurs les propriétaires, voyons-les. » Le gouverneur fit bon accueil aux jeunes gens, mais il ne les invita point à s’asseoir, et se tint debout lui-même. Il avait toujours un air affairé ; à peine levé, il endossait un uniforme de grande tenue, mettait à son cou une cravate bien serrée, et ne se donnait pas le temps d’achever ses repas pour vaquer sans relâche à ses