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cœur et sur lequel j’ai mes projets. ·· Encore si cette raison eût eu quelque fondement ! La vérité est que l’intendant de Korolef avait un projet, lui, qui était de vendre ce marécage en écrémant sous main à l’avance le marché. Nous nous sommes séparés sans être plus avancés qu’avant la réunion. Alexandre Vladimirovitch est toujours très-content de l’effet momentané du discours qu’il a tenu et qui était vraiment très-sage en thèse générale ; il parle plus que jamais de sa future fabrique de drap, mais on ne voit pas qu’il procède au dessèchement.

— Mais comment s’arrange-t-il en particulier dans son bien ?

—Il y introduit tous les mois de grandes innovations. Les paysans blâment cela, mais quel besoin y a-t-il de les écouter ? M. Korolef sait ce qu’il fait ; il va en avant et n’écoute personne ; je l’approuve !

— Ali ! Louka Pétrovitch, et moi qui croyais vous trouver fidèle de fait et deparole à tout ce qui est ancien et en quelque sorte consacré par l’expérience.

—Moi, voyez-vous, c’est une autre affaire ; je ne suis ni gentilhomme ni seigneur. Qu’est-ce que mon économie rurale à moi ? en bien ! mon savoir ne s’étend pas plus loin. Je tâche de me conduire d’après la justice et l’équité, et je rends grâce à Dieu de l’assistance qu’il me prête. Les jeunes mes-sieurs ne goûtent pas ce qu’ils trouvent établi parmi nous autres campagnards. Ils se conduisent avec le paysan comme ils faisaient il y a quinze ans avec leurs pantins : ils les tournent, les retournent, les cassent et les jettent. Ifintendant, qui est un serf, ou M. le régisseur, qui est ordinairement un Allemand, relève le paysan et le tient entre ses pattes. Et quand bien même un jeune seigneur donnerait l’exemple et montrerait par des succès comment il faut s’arranger, par quoi tout cela’rinirait-il ? Il faut bien que j’en prenne mon parti ; je vois que je mourrai sans voir le nouvel ordre de choses accompli et partout en œuvre. En quelle ere vivons nous ? Ce qui était ·n’est plus et ce qui doit être ne se pro-4 duit pas encore. ··

Je réfléchissais à tout ceci, et ne trouvais rien ’à répondre.