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D’UN SEIGNEUR RUSSE. ’ 77

Ovcianikof soupira.

Qui avez-vous vu là en fait de très-grand ? — J’ai vu beaucoup de velmojes, et chacun les pouvait bien voir. Ils tenaient maison ouverte été comme hiver, et se faisaient honneur de leurs richesses. Aucun cependant n’allait à la hanche du comte Alexis Grigoriévitch Orlof Tchesménski..I’avais tout loisir de voir le comte Alexis, il avait pris mon oncle pour son régisseur. Le comte demeurait à la Chabolovka ’, près de la porte de Kalouga. C’était là un velmoje ! Quelle haute mine et quel air gracieux ! On ne peut ’rien se ügurer de semblable, et on a conscience d’en parler. Cette taille, cette force, ce regard ! Ne le connaissant pas, on n’osait entrer chez lui ; on avait peur, on se sentait intimidé ; mais entrait-on, on se sentait réchauffé et réjoui comme d’un beau lever de soleil. Il était accessible pour tous et pour chacun. Il était habile à tout faire ; aux courses il menait lui-même et acceptait pour adversaire n’importe qui ; jamais il ne devançait en hâte son rival, jamais ne lui faisait de tort ni ne l’accrochait, et il ne prenait les devants résolument qu’en approchant de la borne. Et dans sa bonté il consolait le vaincu, il louait son cheval. Il tenait des pigeons ramiers à bec blanc, de premier choix ; il lui arrivait de descendre dans la grande cour, de s’asseoir dans un fauteuil et de faire envoler tout son colombier ; tout à l’entour, sur les toits, se tenaient les domestiques, armés de fusils contre les oiseaux de proie ; aux pieds du comte était déposé un grand bassin d’argent rempli d’eau, et c’est dans cette eau qu’il regardait les exercices de ses pigeons. Les infirmes et les mendiants venaient par centaines recevoir leur pain aux grilles de son arrière-cour, et que d’arger.t après cela il leur faisait distribuer ! Si on le fàchait, c’était le tonnerre pour le bruit ; pas de foudre, pas de victime ; il souriait, plus un nuage ! S’il donnai tune féte, Moscou, ce jourlà, était ivre. Militaire, on sait comme il a frotté les’I’urcs à Tchesmé. Il aimait la lutte corps àcorps ; il lui vint des Samsons de Toula, de Kharkhof, de Tambof ; on lui en amenait t. Quartier de Moscou-