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l)’UN SEIGNEUR RUSSE. 73 Xi

La maison brùle !

— Ce n’est pas une raison pour crier ainsi ; voyons, /mon garçon, donne-moi mon bonnet et ma canne. ·· Il aimait à exercer ses chevauxi Un jour un jeune biteouk’, qu’il avait eu la fantaisie d’acheter, le faisait descendre plus vite qu’il ne voulait sur un versant que côtoyait un ravin : Là, là ! mon jeune fou, tu veux donc te tuer ! » murmurait Ovcianikof d’un ton de bonhomie ; et en un instant, malgré sa patience et son habileté, maître et garçon, banc-drochka et poulain, tout vola dans le précipice. Par bonheur, en cet endroit, le fond du ravin se trouva être matelassé d’épaisses couches du plus beau sable ; les deux hommes n’eurent que d’insigni’1iantes luxations, mais l’animal eut une jambe cassée. «· Ah ! tu vois, reprit doucement Ovcianikof en se relevant et en l’époussetant, je l’avais dit ! »

Tel mari, telle femme ; Tatiane lllînichna était une grande femme grave et silencieuse, qui au lieu de bonnet avait, en toute saison et à toute heure, la tête ceinte d’un mouchoir de soie brun. Tout en elle semblait froid, et pourtant jamais personne n’eut à se plaindre de sa sévérité ; il y a plus, les pauvres lui donnaient assez généralement les noms de mère et de bienfaitrice. Ses traits réguliers, ses grands yeux bruns, ses lèvres fraiches et finement découpées témoignaient encore de la beauté peu commune qu’elle devait avoir à vingt ans. Il est affligeant qu’un pareil couple n’ait pas eu d’enfants. J’avais fait connaissance avec Ovcianikof chez M. Radilof. Deux jours après j’allai voir ce vieillard chez lui. Il ne me dit pas un mot de l’aventure des Badilof. Il était assis dans un grand fauteuil en maroquin et lisait les Vies des Saints. Un angora gris filait au rouet sur son épaule. Il me reçut à sa manière avec une politesse pleine de convenance, et nous causâmes. Entre autres choses je lui dis : · •· Sincèrement, Louka Pétrovitch, autrefois, de votre temps, il faisait meilleur vivre, n’est-ce pas ? 4. On appelle biteouk ou bitcouka une certaine race de chevaux qu’un a obtenue ou multipliée dans le gouvernement de Voronéje, sur le gap) ; près des fameux haras de Khrénof, ancienne propriété du comte f