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le galbe rappelait celui si connu de Jean IIrylof avec soirllm- r pide et spirituel regard ombré de sourcils pendants ; un homme lt l’air grave, à la parole mesurée, à la démarche posée et lente, vous aurez une idée des dehors d’Ovcianikol’. Il était le plus ordinairement vêtu d’un ample surtout bleu à longues manches, boutounéjusqu’en haut, d’où ressortait un peu un mouchoir de cou en soie pensée, et chaussé de*bottes à p glands entretenues dans unétat de propreté irréprochable ; en général, son aspect était celui d’un riche ·mârchand·. Il avait de fort belles mains étoffées et blanches ; ilemfaisait cas, ce me semble ; car, en conversant, il les portait volontiers, aux boutons de son surtout. Ovcianikof, par sen-i »mpoi·1’anoe et son inactivité, par sa sagacité et sa paresse, par sa droiture et son opiniâtreté, me rappelait les vieux boyards mos- r russe un affranchi, ce terme désigne la classe ambiguë de petits pro- 1 pariétaires qui, en Russie, n’étaient ni serfs, ni alïranchis, ni nobles ’ d’épée, ni seigneurs terriers, avant qu’on eût tenté de créèrune hour geoisie et des notables : c’est.cette classe que l’auteur pœsonniüe ici dans une individualité remarquable et originale. Les odnovortsi· s’étaient multipliés sous le règne du czar Alexis Mikhaîlovitch, qui n’eut que de rares velléités de régler leur condition en les assujettis saut au moins à quelques devoirs envers l’État et à. la participation aux charges et aux dépenses publiques. Ils étaient propriétaires de terres et de serfs, et possédaient ou alléguaient, souvent sans savoir ni lire ni écrire, quelque vieux · titre plus ou moins périmé, et qu’ils n’avaient garde de produire, d’un degré quelconque de noblesse. Leur vie retirée, leur mépris de plus en plus prononcé des choses du luxe et de la puissance les avaient constitués en une sorte de secte plutôt que de classe, et leur avaient valu une indépendance fort séduisante ; leur nombre, leur accord, leur éloigne- ’ ment des villes faisaient leur force ; on n’en voyait point qui aspiras sent aux grandeurs de la’boîarie et de la voïvodie, d’où sont sortis les seuls personnages à. qui convient en effet le titre de velmojes (la grandesse russe), type déjà peint dans un précédent chapitre, et dont on va trouver ici un nouveau portrait dans celui du célèbre comte Alexis Orlolï, le destructeur de la flotte turque à Tchesmé. ’ ’ Toute l’ambition des odnovortsi était de maintenir intactes les immunités qui forment en Russie l’attribut exclusif de la noblesse- et qu’ils s’étaient arrogées sous les divers régimes des deux siècles précédents., Pierre I, impatient de tout dompter, tout classer, tout réglementer, et*rs> tremper dans son empire, ne-put, quoi qu’il fît, entamer la ligueade plus en plus forte et compacte des odnovortsi, et dut, pour lu Pl¤t181’.uu coup décisif, ajourner la mesure qu’il méditait à leur égard, jusqu’à ’.