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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 63

Assez, vieux, assez, dit mon hôte ; va te faire donner ta ecompen.~·e. ··

Fédor. Mikhéitch remit à l’instant même le violon sur ’appui de la fenêtre, salua la dame, ensuite moi, enfin 1, adîlof, et sortit du salon.

C’était, lui aussi, un seigneur terrier, reprit mon nourel ami ; il était riche, il s’est ruiné ; a présent, il demeure zhez moi. Dans son temps, il passait pour le plus redoutable Jetit-maître de tout le gouvernement ; il a enlevé deux femnes à leurs maris ; il entretenait des chanteurs, et lui-même Était cité partout pour.le chant et pour la danse. Mais pre-Jez donc l’eau-de-vie ; vous voyez, la table est servie. » Une jeune demoiselle, la même que j’avais effrayée, que ’avais vue paraître et disparaître entre les tilleuls, entrait en ce moment au salon.

Et voici Olga ! je vous prie de faire sa connaissance. Eh oien’donc, à table, s’il vous plaît. ··

Nous passàmes dans la salle à manger. Pendant que nous marchions et que nous prenions nos places à table, Fédor Mikhéitch qui, par l’effet de la récompense, avait les yeux. brillants et le nez un peu vermeil, chantait : Retentissez, foudres de la victoire.... On lui avait mis son couvert à part sur une table sans linge, dans un coin de la salle. Le pauvre vieillard avait tout à fait perdu de vue jusqu’aux conditions les plus vulgaires de la propreté dans la manière de se nourrir, et l’on devait bien le tenir, en ces occasions surtout, à une certaine distance de la société. Il se signa, prit son haleine, et se mit à dévorer comme un requin ce qu’on lui fit servir. Le diner fut réellement assez bien composé, et, comme dîner de dimanche, il ne se passa point sans la solennelle gelée aux parois tremblantes, et sans les gaufres en pets de nonnes, qu’on nomme ici plus convenablement vents d’Espagne.

Radîlof, qui avait servi dix ans dans un régiment d’infanterie de ligne et avait fait une campagne en Turquie, se lança dans un labyrinthe de récits pour la plupart militaires ; je l’écoutais avec toute l’attention qu’exigent les convenances, et cependant · j’observais Olga à la dérobée. Elle n’était pas