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62 A MEMOIRES ’

Qà, maintenant, allons au salon, me lait’Radîlof ; je vous prie de trouver bon que je vous présente à ma mère. · Je le suivis. Sur le divan du salon était assise une vieille dame de petite taille, en robe brune et en bonnet ; elle avait, avec un visage maigre et un regard timide et triste, un certain air de bonté. Radilof me recommanda comme l’un de leurs plus proches voisins de terres. La dame se leva et s’inclina sans pourtant se débarrasser du gros ridicule de poil de chameau, en forme de sac ou de cabas, que tenait sa main amaigrie par l’âge.

¤ y a-·>·il longtemps que vous êtes dans nos cantons ? ditelle d’une voix faible et cassée, en clignotant des yeux. — Non, madame, il y a quelques semaines. - Et vous demeurerez ici ?...

-.lusqu’à l’hiver, je crois. »

La vieille dame se fut.

Et voici, reprit Radîlof en me montrant un homme grand et maigre que je n’avais pas aperçu à mon entrée dans le salon, voici Fédor Mikhiéitch.... Qà voyons, Fédia, fais voir tes talents à monsieur ; pourquoi te tapir ainsi dans un coin quand on a tes avantages ? ·· L’homme à’qui ces paroles s’adressaient se leva à l’instant de sa chaise, releva de dessus l’accoudoir de la fenêtre un méchant violon, prit l’archet par le milieu de la tige et en tenant le haut en bas ; il se posa l’instrument contre la poitrine, et, fermant les yeux, il se mit à chanter et à danser grotesque meut en raclant les cordes. Il paraissait avoir soixante-dix ans ; il avait sur le corps un long surtout de nankin gris qui flottait tristement sur ses longs membres osseux. Ce malheureux dansait : tantôt il trépignait vivement ; tantôt, comme s’il se mourait, il balançait mignarde ment sa petite tête chauve, puis la renversait en découvrant les veines tendues de son cou, et piétinait sur place ; quelquefois il fléchissait les genoux avec une peine visible. Sa bouche dégarnie de dents rendait par moments un son de râle plutôt que de joie. Radîlof dut aisément deviner, à l’expression de mes traits, que les talents de Fédia me causaient autre chose qu’un sentiment agréable. ’